Le Président : Démission ou soumission à l’extrême droite

Au-delà du sort du gouvernement, de la sélection d'un Premier ministre et de l'adoption d'un budget, la France se prépare à un mois de septembre tendu

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Bassam Tayara

À la lecture de ces lignes, il y a 99,9999 % de chances que le gouvernement de François Bayrou soit tombé, une réalité réclamée par près des deux tiers des Français.
Bien sûr, d’autres hypothèses se cachent derrière cet effondrement. La confiance des Français dans la capacité du gouvernement à résoudre la crise politique qui secoue le pays s’étant émoussée, une grande partie d’entre eux réclame la démission du président Emmanuel Macron.
Selon un sondage d’opinion réalisé par Odoxa pour le journal conservateur « Le Figaro », 64 % des Français sont favorables à l’élection d’un nouveau président de la République – c’est-à-dire la tenue d’élections présidentielles anticipées – plutôt qu’à la nomination d’un cinquième Premier ministre en moins de deux ans.
En revanche, 56 % d’entre eux appellent à des élections législatives anticipées pour trouver une issue à la crise constitutionnelle, selon un autre sondage.
L’opposition, représentée par l’extrême droite, notamment le « Rassemblement national » de Marine Le Pen, et l’extrême gauche, notamment la « France Insoumise », ainsi que le reste de la gauche fragmentée, des Verts, des communistes, aux socialistes, ont affirmé qu’ils ne voteraient pas la confiance dès que François Bayrou a proposé cette initiative. Seul le Parti socialiste a hésité avant de s’aligner sur l’écrasante majorité, soit plus des deux tiers du Parlement.
Dans ce contexte, les commentateurs français ont qualifié la motion de confiance de diverses manières. Certains l’ont qualifiée de « harakiri », de suicide politique, ou de saut d’un TGV.
En réalité, Bayrou tente de manipuler (certains utilisent le terme «faire le malin » avec) les partis d’opposition. Face à l’urgence de réduire la dette, il a formulé la motion de confiance sous le slogan vague : « Êtes-vous d’accord pour dire que la situation exige des mesures exceptionnelles ?» « Oui ?» ou « Non ? »!
Il n’y a aucune discussion sur les mesures, les solutions ou les répercussions des différentes options. Par conséquent, l’opposition et l’échec du vote de confiance ne se concentrent pas sur cette question, mais plutôt sur les mesures décidées sans aucune consultation des députés.
Quelles en sont les implications ? Cela démontre que la deuxième économie de la zone euro traverse une profonde crise politique, structurellement alimentée depuis l’arrivée au pouvoir de Macron en 2017, lors de son premier mandat. On se souvient tous que la victoire de Macron fut une « surprise » car c’est un succès grâce à Marine Le Pen : les voix qu’il a obtenues visaient à « empêcher l’extrême droite d’accéder à l’Élysée », et non à soutenir son programme.
Comme c’est souvent le cas lors des élections présidentielles, des élections législatives ont eu lieu et le bloc du président a obtenu la majorité. Cependant, cette majorité, qui s’est rassemblée autour de lui, était composée de nouveaux candidats venus de tous les horizons, sans ancrage politique dans les régions et semblait incapable de transmettre le « pouls des citoyens et leurs préoccupations » . Cette majorité lui a néanmoins permis de « faire ce qu’il voulait », notamment sur le plan économique. Parmi ses mesures les plus marquantes et contestées, on peut citer la suspension de l’impôt sur la fortune, ISF « impôt de solidarité ». Il a ensuite décidé de porter de 60 à 64 ans le nombre d’années de travail avant la retraite, de réduire le montant des prestations de santé et d’approuver des aides massives aux grandes entreprises sous prétexte de lutter contre le chômage, sur la base du « ruissèlement » . Le premier mandat de Macron (2017-2022), outre son aspect économique capitaliste sévère, s’est caractérisé par une certaine inconscience, comme l’utilisation d’expressions littéraires aujourd’hui dépassées. Cela reflétait le langage hautain et condescendant qui caractérisait son discours politique, économique et social, allant jusqu’à qualifier les chômeurs de « paresseux » (ce que Bayrou a également fait). Tout cela s’est accompagné d’une hausse des prix et d’une baisse du pouvoir d’achat des classes moyennes et pauvres. La réaction de la rue ne s’est pas fait attendre. Elle a pris la forme du phénomène des « gilets jaunes », ces foules qui ont appelé à manifester et bloquer les routes à travers la France.
Soudain, la pandémie de Covid-19 (Coronavirus) est venue à la rescousse de Macron : les rues étaient désertes, et en trois mois, les Français étaient confinés chez eux. Tout le monde pensait que la crise était derrière nous, surtout après que Macron eut décidé d’une politique de soutien aux entreprises dans tous les domaines, sous le slogan « quoi qu’il en coûte ». Cette aide a été perçue par les citoyens français, les artisans et les petites et grandes entreprises sur la base de leurs chiffres d’affaires d’avant la pandémie. Cela a coûté 550 milliards d’euros au Trésor public, faisant exploser le déficit budgétaire de l’État à 5,7 %, soit le double du minimum européen. Malgré cela, Macron a été réélu une deuxième fois, mais pour la deuxième fois, Marine Le Pen a contribué à son succès, tous les partis ont en formé une coalition républicaine dont la mission était « empêcher l’extrême droite d’accéder au pouvoir ».
Cependant, les élections législatives de 2022 qui ont suivi son maintien à l’Élysée n’ont pas permis de dégager une majorité lui permettant de gouverner, tandis que le Rassemblement national (RND) est devenu le premier parti au Parlement français.

Trois blocs sont entrés au Parlement : la droite, la gauche et le centre, qui soutient l’Élysée. Les effectifs étaient quasiment à égalité, ce qui a affaibli l’emprise de Macron sur le Parlement, la dette française atteignant 3,346 milliards d’euros.
Le président Macron a tenté de surmonter sa faiblesse, à savoir l’absence de majorité parlementaire, et a choisi Élisabeth Borne pour diriger le gouvernement (2022-2024). Borne, deuxième femme à diriger un gouvernement en France après Edith Cresson, a « pris en charge » l’adoption de mesures gouvernementales draconiennes sans vote au Parlement, avec le soutien de la droite, qui la suivie et « attendait de récolter les fruits de la faiblesse du système », ce qui a exacerbé la polarisation sur la scène française.
Il en a résulté la démission de Borne, issu de la gauche mais appliquant une politique de droite.
Macron a ensuite choisi Gabriel Attal, un de ses proches, qui a dû faire face à une opposition farouche. La nomination d’Attal comme Premier ministre (de janvier 2024 à septembre 2024) et l’intense opposition politique à cette nomination ont incité Macron à prendre un pari risqué en convoquant des élections législatives anticipées en 2024 pour tenter d’adopter le budget 2025. Le résultat a été un Parlement fortement fragmenté, tandis que le bloc présidentiel a perdu de nombreux sièges et que sa marge de manœuvre s’est réduite.
Il s’est tourné vers la droite républicaine pour former une alliance avec son bloc central. Michel Barnier, le Premier ministre le plus expérimenté et le plus âgé de l’histoire, a été nommé. Son gouvernement a pu adopter le budget sans vote, malgré des promesses non-tenue aux socialistes, et il a été battu lors du premier vote de confiance.
François Bayrou, autre centriste chevronné et dernier allié de Macron, a été nommé quatrième Premier ministre de Macron depuis sa réélection. Cependant, depuis la formation de son gouvernement en décembre 2024, il s’est montré inefficace. Une fois de plus, la crise financière a entravé son règne. Bayrou tente de faire adopter le budget 2026, qui prévoit 44 milliards d’euros (52 milliards de dollars) d’économies, sans dialogue.
Il gèle également les retraites, coupe dans les dépenses de santé, supprime deux jours fériés, refuse de rétablir les impôts abolis pour les plus riches et refuse d’augmenter les impôts des grandes entreprises – une copie conforme de la philosophie capitaliste de Macron.
Lorsque Bayrou a compris que ce budget ne passerait pas au Parlement, il a appelé à un vote de confiance, un pari qui pourrait être qualifié de « suicide politique ».

Quelles sont les options de Macron ? Constitutionnellement, toutes les cartes semblent être entre ses mains, mais la fragmentation du pouvoir entre deux forces principales – l’extrême droite et l’extrême gauche – et les tensions politiques qui en résultent empêchent toute possibilité de compromis. Le point crucial est que la politique menée par Macron depuis son arrivée au pouvoir a entraîné une baisse du pouvoir d’achat, une augmentation des niveaux de pauvreté et l’effondrement de la classe moyenne, et ces classes en France sont soit dans les rangs de l’extrême droite, soit del’extrême gauche. Il est peu probable que Macron ait recours à des élections législatives anticipées, car le résultat serait similaire et son équipe perdrait également un certain nombre de sièges, le forçant ainsi à nommer un nouveau Premier ministre.
La question est : quel Premier ministre ? Et à quel bloc appartiendrait-il ? La gauche ? Les socialistes qui font des offres de services?
Il est nécessaire d’analyser le bloc de gauche, qui s’étend de la « France insoumise » (le parti de Jean-Luc Mélenchon) au Parti socialiste, en passant par les Verts et le Parti communiste français. Ce bloc est divisé : le Parti socialiste, soutenu par de petits blocs indépendants, refuse de tendre la main à la « France insoumise » pour des raisons indépendantes de la politique intérieure et liées aux positions de Mélenchon sur la guerre à Gaza. Malgré les appels des Verts à surmonter ces problèmes, le Parti socialiste est assiégé en interne par de nombreux partisans d’Israël qui, malgré leur condamnation des crimes de Benjamin Netanyahou, rejettent toute demande de sanctionner l’État hébreu.
Si Macron recherchait l’aide en montant une alliance entre son équipe et le Parti socialiste – même si un accord avec les socialistes semble être l’une des rares options possibles –, il se heurterait à un obstacle redoutable, un mur d’opposition composé de la droite, qui rejette les propositions des socialistes, ainsi que de La France Insoumise, qui a commencé à qualifier le Parti socialiste de « traître à la gauche ».
Le nouveau Premier ministre pourrait être issu du centre-gauche, mais il n’obtiendrait pas de majorité. Macron pourrait également choisir un technocrate, car aucune règle ne précise qui il doit nommer, ni quand. Il n’est pas improbable que Bayrou prenne temporairement ses fonctions pour gérer les affaires publiques, mais il ne pourra pas approuver le budget 2026.

C’est pourquoi le Rassemblement national (droite) et La France Insoumise réclament la démission de Macron.
Et le dicton populaire « les mauvaises nouvelles arrivent en groupes » s’avère très valable ces temps-ci.
Au-delà du sort du gouvernement, de la sélection d’un Premier ministre et de l’adoption d’un budget, la France se prépare à un mois de septembre tendu :
– Le 10 septembre (mardi) : un vaste mouvement citoyen sous le slogan « Bloquons tout ». Un mouvement lancé sur les réseaux sociaux, des manifestations nationales sont prévues dans toute la France.
– Le 12 : Fitch Rating révise la note de crédit de la France, probablement à la baisse.
– Le 18 : les syndicats français organisent des grèves et des manifestations de masse.
– Enfin, d’ici la fin du mois, plusieurs secteurs organiseront des grèves sélectives (fonctionnaires, conducteurs de bus, des pharmaciens, etc.. pour faire pression sur les employeurs afin qu’ils augmentent les salaires et acceptent un retour à l’ancien système de retraite.

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