2023 vue par le trou ukrainien

Ainsi, l'année 2023 commence, au rythme d'une guerre mondiale, ouverte sur une scène internationale chaotique. Mais c'est un chaos sous le signe de la confrontation sino-américaine.

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Bassam Tayara

Les habitants de notre village-monde se sont réveillés au début de 2022 au son des canons. Beaucoup de confusions, l’odeur de la poudre et le son du canon et la fumée des incendies se sont répandus au-dessus du vieux continent.
Les peuples d’Europe ont été stupéfaits : Est-il possible que la guerre soit là présente au cœur de qu’ils considéraient comme un havre de Paix et de tranquillité… et de consommations?
Dans les chancelleries, les dirigeants européens savaient qu’un conflit couvait. Mais les pays aujourd’hui plongés dans le conflit, au premier rang desquels les États unis, se comportent comme s’ils étaient pris au dépourvu: que ni ni!
Contrairement à ce qui se dit et s’écrit ici et là, il n’y a pas de chaos ni situation chaotique. Il y a un faisceau d’intérêts complexes et simples à la fois. Le chaos étant un facteur qui peut aider toutes les puissances qui ont une vision globalisée de leurs intérêts. C’est le cas de Washington, de Pékin et de Moscou.
En effet, en l’an 2022, les dossiers de crises « existentielles » pour l’humanité se sont accumulés, et ont accompagné les évolutions du conflit entre ces grandes puissances.

Aujourd’hui, notre monde vit dans un état d’incertitude, alors que l’année 2023 s’ouvre avec l’émergence de nouveaux blocs en raison de la guerre déclenchée par la Russie en Ukraine. Ce conflit russo-ukrainienne qui plonge l’Europe est accompagnée d’un horizon économique difficile dont les indicateurs les plus saillants sont une inflation en hausse, une énergie à des prix exhorbitants et une croissance en berne.. tout cela sous la coupe d’un réchauffement climatique menaçant.
Le choix des stratégies à suivre, se heurte à une accumulation de contradictions évidentes:

– Est-il possible de lutter contre le réchauffement climatique quand les pays riches traversent une crise économique étouffante qui balaie leurs économies sans parler des pays pauvres du Sud ?
– Est-il possible d’aborder la pauvreté qui ronge ce Sud pauvre uniquement avec des théories de modernité climatique et de lutte contre le réchauffement climatique?
Trois événements dur l’année écoulée 2022, ont mis sous la loupe la difficulté de trouver des réponses à ces questions:
1) La Guerre russe en Ukraine.
2) La Conférence sur Climat « COP 27 » en Egypte.
3) Le G20 en Indonésie.

Ces trois événements ont bouleversé la panoplie des alliances dans le monde. Vladimir Poutine a ramené la guerre au cœur de l’Europe et a révélé que parler de droit international, d’inviolabilité des frontières internationales et « d’agression contre son voisin » ne sont pas des facteurs pouvant constituer un facteur de solidarité internationale.

Quiconque se tient aujourd’hui aux côtés de l’Ukraine et la soutient avec de l’argent et des armes, « l’Occident, selon la définition politique », semble incapable d’attirer les pays du sud vers la confrontation avec la Russie.
Quelle est la raison? Aux yeux des pays du Sud, Poutine ne fait rien d’autre qu’imiter ce que l’Amérique a fait, avec certains de ses alliés en Irak, au Kosovo, en Libye, au Panama et même en Afghanistan.
Poutine pensait peut être que la « campagne militaire spéciale » s’apparenterait à ce qu’il a déjà fait en Géorgie et en Moldavie en 2008, et que l’Occident n’agirait pas non plus, mais il a raté une case ! La Grande-Bretagne et les États-Unis entraînaient l’armée ukrainienne depuis 2014, après qu’il ait mis la main sur le Donbas dans le sillagede la révolution orange de Maïdan. Poutine est tombé dans le piège que lui était tendu, pour que Washington puisse se consacre à la Chine et au Pacifique Sud.

L’Occident de son côté, a également mal calculé les alliances qui pourraient se « tourner » vers Moscou pour profiter de l’effet pervers des sanctions infligées à la Russie, tout comme il a mal calculé le nombre de missiles en possession du maître du Kremlin. Poutine a pris le contrôle d’une partie de l’est de l’Ukraine et n’a aucun scrupule à détruire les infrastructures civiles du pays avec des barrages quotidiens de missiles. Moscou compte sur l’hiver pour épuiser les Ukrainiens, mais aussi pour épuiser les Européens et les Américains qui soutiennent militairement et économiquement Kyiv.

Ce qui est nouveau, et mis en évidence par la guerre en Ukraine, c’est que la Russie mène une guerre conventionnelle sous le couvert de son arsenal nucléaire. Poutine utilise les armes nucléaires comme une menace pour empêcher le soutien occidental de se transformer en soutien militaire direct.
Ici, c’est l’une des manifestations les plus importantes du changement stratégique qui émerge, de nombreuses puissances moyennes surveillent de près ce schéma militaire, et la guerre de Poutine pourrait conduire à une accélération de la prolifération nucléaire sur tous les continents: posséder l’arme nucléaire signifierait pin pouvoir d’agression dans l’impunité totale.

Ce qui est également nouveau, c’est que cette guerre a resserré les liens transatlantiques elle a ravivé et élargi l’OTAN. Cette alliance a montré la supériorité de l’arsenal d’armement occidental, mais également elle a souligné l’affaiblissement de l’Union européenne et à l’émergence d’une disparité entre les vingt-sept pays dans la « manière d’exprimer » leur soutien à l’Ukraine, voire dans la question de décider de la politique de sanctions contre Moscou, qui fut apparemment discutée.

On peut aussi dire que cette guerre a enterré la « politique de défense européenne commune », et le meilleur exemple est la divergence entre l’Allemagne et la France d’une part, et le parti pris des États baltes sous le parapluie américain entrainés par la Pologne.

Les dirigeants occidentaux pensaient que le sommet du G-20 en Indonésie détruirait ce qui restait des alliances qui soutenaient – bien qu’à contrecœur – la Russie. Pourtant, ce sommet était un miroir politique du « Cop 27 » à Charm el-Cheikh. L’Occident riche n’a pas offert un centime au Sommet de Charm el-Cheikh pour soutenir le Sud pauvre dans ses efforts pour lutter contre le réchauffement climatique. Ces derniers ont rappelé avec force que le «trou dans l’atmosphère» provoquant un changement climatique violent est dû aux multiples activités des pays riches et leur quête des technologies modernes.

A Charm el-Cheikh, comme en Indonésie, la conversation était, comme le décrit un diplomate européen, « un discours sourd. » L’Occident n’a pas été en mesure de convaincre le Sud de la nécessité de « protéger le droit international » et de tenir la Russie responsable de la guerre, comme le Sud n’a pas été non plus en mesure d’écouter les demandes du Nord pour qu’il limite son recours aux énergies qui causent le changement climatique.

De là, les regards se tournent vers la Chine, ce géant qui ne cache pas sa volonté de concurrencer les Etats-Unis dans tous les domaines. Le cauchemar de l’Occident serait que la Chine soutienne son voisin la Russie dans sa guerre en Ukraine.
Mais Xi Jinping, qui s’est octroyé un troisième mandat, reste fidèle en parole à « l’amitié illimitée » entre Pékin et Moscou, mais il ne va pas jusqu’à promettre ou divulguer l’aide qu’il apporte ou pourrait apporter à son allié Vladimir Poutine.
Mais il n’hésite pas à s’afficher avec le maître du Kremlin sous l’affiche de la « désoccidentalisation » du XXIe siècle et la sortie de l’économie mondiale de sous la coupe du « roi dollar ».

Actuellement Xi semble préoccupé par les répercussions de sa politique à l’égard du Covid-19 et de la dette interne accumulée et qui pèse sur la classe moyenne. Ce qui inquiète l’Occident, c’est que le modèle « autoritaire chinois », c’est-à-dire le style de Xi Jinping, qui se renforce. Il est très proche du style de Poutine, également proche du style du régime iranien qui aide directement Moscou, comme fait le leader nord-coréen Kim Il Jong.
L’Occident voit les traits d’un nouveau bloc (Russie, Chine, Iran et Corée du Nord) qui s’appuie sur deux géants ce qui rappelle un passé récent que Fukuyama pensait l’avoir enterrer, qui s’opposera à l’Occident (l’Union européenne, les États-Unis, la Grande-Bretagne, le Canada, l’Australie et le Japon, la Corée du Sud et quelques petits pays).
Mais où en est le reste du monde à l’orée de cette nouvelle année ?

Il est vrai que la majorité des pays, à des exceptions comme l’Inde ou une partie de l’Afrique ou du monde arabe, ont condamné la guerre de Poutine aux Nations unies, mais la majorité d’entre eux refusent d’appliquer les sanctions occidentales. Pendant ce temps, Moscou et Pékin tentent d’enrôler le Sud dans la bataille contre ce qu’ils considèrent comme l’hégémonie américaine sur le système international et qui, pour les Chinois et les Russes, est le défi du siècle prochain.
Mais la réalité du monde est plus complexe et ne rentre pas dans ce cadre simplifié. Le meilleur exemple est l’Inde qui est considérée comme le leader des pays du Sud. Ce pays est membre du Quad – avec les États-Unis, l’Australie et le Japon – pour contenir l’expansion chinoise dans la région du Pacifique. Mais New Delhi contourne les sanctions occidentales et achète du pétrole russe bon marché, donc finance la guerre en Ukraine donc un soutien indirect à Poutine.
Aussi, un certain nombre de moyennes puissances, comme l’Arabie saoudite ou la Turquie ou même l’Egypte, s’affranchissent de la tutelle américaine, mais elles ne se placent pas entièrement sous l’égide sino-russe. De Riyad à Ankara, et de Manille à Jakarta, les alignements sont devenus des « alignements d’intérêt », tantôt avec l’un des pôles de la superpuissance (l’Occident), tantôt avec l’autre camp (les Chinois, les Russes ou les deux ).
Ainsi, l’année 2023 du XXIe siècle commence, au rythme d’une guerre mondiale, ouverte sur une scène internationale chaotique. Mais c’est un chaos sous le signe de la confrontation sino-américaine.
Sur l’horizon stratégique mondial, il y a une bizarrerie sans précédent dans l’histoire : les forces américaines et chinoises s’affrontent dans les domaines, mais l’importation du marché américain de produits chinois ne diminue pas, tandis que des entreprises chinoises sont financées par la Bourse de New York. Bonne année.

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